Rencontre Laurent Gbagbo-Alassane Ouattara à l’épreuve de la sincérité (Analyse)

La rencontre entre le Chef de l’Etat Alassane Ouattara et l’ex-Président Laurent a eu lieu le 27 juillet 2021  au palais présidentiel. Depuis près de 10 ans, c’est la première fois qu’ils se retrouvaient. Dans une ambiance chaleureuse et fraternelle, ils ont promis d’œuvrer dans le sens de la paix et la réconciliation. Cette résolution, salutaire pour l’ensemble de la Nation, pourra-t-elle survivre à l’épreuve de la sincérité des deux hommes ? cette question loin d’être rhétorique doit être la preuve de la volonté de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara d’aller à la réconciliation nationale… (ANALYSE)

 

Mardi  27 juillet 2021. Une date gravée à jamais dans les annales de la Côte d’Ivoire. M. Ouattara et son farouche adversaire ensemble main dans la main. Les plus sceptiques peinaient à croire que cela se ferait un jour,  vu que les deux camps se regardaient en chiens de faïence.

Mais voilà l’atmosphère semble décrisper si l’on s’en tient au spectacle offert par les deux personnalités en fin d’après-midi de ce jour historique au Palais présidentiel. C’est un Laurent Gbagbo alliant classe, simplicité et élégance dans une chemise manche longue blanche, et un pantalon noir qui est accueilli  sur le perron du Palais présidentiel par M. Ouattara vêtu d’un costume sombre. «  Je suis content de te voir », lance Alassane Ouattara. Les deux hommes arborant un cache-nez, épidémie de covid-19 oblige, se font des accolades. Même si aucune expression n’est perceptible, les gestes sont amicaux.

Pendant leur entretien c’est un Gbagbo détendu, large sourire qui échange chaleureusement avec son « ami » de longue date. D’ailleurs,  les deux personnalités n’hésiteront pas à affirmer entretenir des rapports cordiaux depuis belle lurette.

« Je suis venu rendre visite au Président Alassane Ouattara, on se connait depuis longtemps et on a parlé fraternellement, amicalement et je suis très heureux de cette discussion que nous avons eue parce qu’elle était très détendue et je suis fier de ça », a indiqué en substance l’ex-détenu de Scheveningen.

« Mon cher Laurent, merci d’être venu pour cette rencontre que tout le monde demandait d’ailleurs, mais les gens ne savent pas que nous sommes des amis depuis des décennies. Ce qui ne nous rend pas jeune toi et moi », a renchérit le chef de l’exécutif ivoirien.

 

 

Les deux hommes d’Etat ont réaffirmé,  devant la presse nationale et internationale après leur entretien, leur volonté à mener des actions susceptibles de favoriser la cohésion et la réconciliation des fils et filles vivant sur le sol ivoirien.

« Laurent est mon jeune frère ; mon ami, bien sûr il y a eu cette crise qui a créé des divergences mais cela est  derrière nous. Ce qui importe c’est la Côte d’Ivoire, c’est la paix pour notre pays », a déclaré le Président de la République.

L’horizon semble s’éclaircir et la Côte d’Ivoire est en train de tourner une nouvelle page de son histoire. Cependant pour y arriver, beaucoup de concessions et de sacrifices devront être faitsGbagbo arrivera-t-il à contenir ses piques à l’endroit de son successeur, qu’il n’avait pas manqué de chambrer dès son arrivée en Côte d’Ivoire, en l’appelant à « respecter les textes », faisant allusion à son troisième mandat ? Pourra-t-il au nom de la paix troquer quelquefois son manteau d’opposant farouche contre celui de conseiller, médiateur, pacificateur devant des situations peu avantageuses pour son « ami » Alassane Ouattara ?

De son côté, le chef du RHDP répondra-t-il favorablement à la requête de son « cher Laurent », sans heurter la sensibilité de bon nombre de ses partisans et proches ?

En effet, lors de leur entretien, Laurent Gbagbo a remis une liste de 110 personnes faites prisonnières pendant : la crise post-électorale de 2010-2011, les tensions de 2019, et les manifestations contre le 3e mandat d’Alassane Ouattara en 2020.

Il  avait plaidé le cas de ces détenus qui croupissent sous les geôles ivoiriennes.

« En ce qui me concerne, j’ai surtout parlé avec le Président, j’ai insisté sur les prisonniers, qui ont été arrêtés au moment de la crise de 2010-2011 et qui sont encore en prison. Alors j’ai dit au Président et vous serez d’accord avec moi que j’étais leur chef de file et moi je suis dehors aujourd’hui, eux ils sont en prison et j’aimerais que le Président fasse tout ce qu’il peut pour les libérer. Et le Président a les moyens et mais c’est lui qui juge de l’opportunité et des moyens et des moments pour ces libérations. Donc j’ai insisté sur ça », a-t-il affirmé.

Le hic c’est que sur cette liste figurent des personnes que le Président a refusé d’amnistier en aout 2018 pour avoir commis des « crimes graves ».

De plus, le nom de Souleymane Kamaraté Koné dit Soul to Soul, y  figure. Ce dernier a écopé de 20 ans de prison ferme  pour “atteinte à la sûreté de l’Etat”. M. Ouattara pourra-t-il accepter la libération du chef de protocole  de son ex-poulain Guillaume Soro qui vit désormais en exil et qui est sur le coup d’une condamnation à perpétuité ?

La paix est possible mais il revient aux deux personnalités de jouer franc-jeu non seulement avec elles-mêmes mais avec le peuple également. Ce peuple qui a tant besoin de la paix. Comme on le voit, cette rencontre historique doit être la preuve de la sincérité de ces deux hommes d’aller à la réconciliation.

 

MIREILLE YAPO